Le CRTC multiplie les consultations et l’AQPM multiplie les mémoires

La ministre du Patrimoine canadien a demandé au CRTC  de remettre au gouvernement, au plus tard le 1er juin 2018, un rapport sur les modèles qui assureront à l’avenir la distribution du contenu canadien. Le CRTC a lancé un premier appel de commentaires à cet effet le 12 octobre dernier avec une date de remise fixée au 1er décembre. L’ AQPM a donc produit un mémoire à l’occasion de cette consultation.

En voici le résumé :

  1. Au cœur de l’écosystème de la radiodiffusion au Québec, les producteurs indépendants et les créateurs sont directement concernés par l’évolution des pratiques de consommation des contenus audiovisuels et par leur impact sur les modèles d’affaires des différents acteurs de l’industrie.
  2. En réponse aux questions de l’avis de consultation de radiodiffusion CRTC 2017-359, sur la demande du gouverneur en conseil de faire rapport sur les modèles de distribution de programmation de l’avenir, l’Association québécoise de la production médiatique (ci-après AQPM) soumet respectueusement au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (ci-après le Conseil) le présent mémoire.
  3. Si les Canadiens disposent de plus d’écrans que jamais auparavant et en utilisent plusieurs pour regarder la télévision, l’AQPM souligne que les deux marchés linguistiques du Canada connaissent parfois des réalités bien différentes, notamment parce que la loyauté des francophones et des Québécois aux contenus produits ici influence leurs comportements de consommation.
  4. Même si la consommation des émissions de télévision de façon traditionnelle domine toujours le temps consacré aux divers médias, la télévision en ligne est de plus en plus populaire notamment grâce à la multiplication des services de diffusion en continu (streaming). Cette explosion de choix entraine une dépense de plus en plus importante pour beaucoup de ménages qui se verront obligés de faire des arbitrages.
  5. L’AQPM constate aussi que la multiplication des plateformes et des services de télévision a notamment pour effet d’augmenter la concurrence entre les services de télévision traditionnelle et les services en ligne pour l’acquisition et la production des meilleurs contenus. Cette concurrence engendre une surabondance de l’offre de contenus pour attirer les consommateurs, mais aussi une inflation des coûts d’acquisition, comme des budgets de production, indispensables pour rivaliser avec la puissance financière des multinationales étrangères.
  6. Malheureusement, le financement nécessaire à la production d’émissions canadiennes de qualité est dans le même temps menacé par le déplacement des flux financiers du secteur de la radiodiffusion vers le secteur des télécommunications. Or, le financement des contenus audiovisuels au Canada dépend grandement des revenus des entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) et des télédiffuseurs, qui sont en décroissance, alors que les fournisseurs de services de télécommunication (FST),tout comme les services de diffusion en continu sur Internet, ne contribuent pas au financement de la programmation canadienne.
  7. Même si l’augmentation annoncée de la contribution du gouvernement du Canada au Fonds des médias du Canada (FMC) permettra de maintenir son niveau de financement, l’AQPM estime que cette annonce ne répondra pas aux besoins grandissants de contenus canadiens de qualité pour alimenter l’ensemble des plateformes et des écrans désormais disponibles et pour faire face à la concurrence des services étrangers de diffusion en continu sur Internet. De plus, cette annonce ne règle en rien les problèmes liés à la baisse des revenus publicitaires et d’abonnement des télédiffuseurs ni le manque à gagner résultant de l’exemption de contribution des FST et des services de diffusion en continu sur Internet.
  8. L’AQPM estime qu’un marché intérieur dynamique est un marché dont tous les acteurs – créateurs, producteurs indépendants, diffuseurs et distributeurs – sont assez solides pour créer, développer et offrir aux consommateurs d’ici des contenus diversifiés et de qualité, qui leur ressemblent. Pour cela, les producteurs indépendants doivent pouvoir conserver la propriété intellectuelle de leurs contenus et la capacité de les exploiter sur tous les marchés, intérieurs et extérieurs, et ainsi pouvoir faire fructifier leurs actifs à long terme.
  9. De même, un marché intérieur dynamique requiert un financement adéquat. Il est vain de croire que les revenus sur Internet, accaparés majoritairement par Google et Facebook, vont permettre aux télédiffuseurs d’ici de combler leurs pertes de revenus publicitaires, ou que l’exportation suffise, à elle seule, à soutenir le dynamisme du marché intérieur, particulièrement celui de langue française. L’AQPM croit plutôt que le maintien et le développement d’un marché de contenu et de distribution dynamique au Canada nécessitent que tous ceux qui bénéficient des revenus de la consommation et de la distribution au Canada de contenus audiovisuels participent au financement de ce marché.
  10. C’est dans cet objectif que l’AQPM croit qu’il est urgent de moderniser toutes les lois, règlements et politiques visant le secteur culturel afin d’être neutres au niveau technologique, c’est-à-dire qu’ils doivent s’appliquer, quelle que soit la technologie utilisée pour la création, la production, la distribution et la diffusion des contenus. Ainsi, l’AQPM croit que l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias, ainsi que l’Ordonnance d’exemption pour les entreprises de vidéo sur demanden’ont plus de raison d’être et qu’elles doivent être remplacées par un cadre réglementaire, ainsi que par des conditions de licence normalisées à définir lors d’une instance initiée par le Conseil. Aussi, l’AQPM rappelle au Conseil l’importance de tenir compte des différences entre les marchés de langues française et anglaise.

Enfin, l’AQPM réaffirme que pour des raisons d’équité évidentes, les services étrangers qui font des affaires sur le territoire canadien doivent avoir des obligations et des devoirs de même nature que les services locaux, au niveau fiscal comme au niveau réglementaire.

Le document complet peut être consulté ici.

Alors que cet appel de mémoires vient à peine de se terminer, le CRCT a procédé le 7 décembre dernier à la deuxième phase du processus de consultation sur les modèles de distribution. Les questions ressemblent à celles de la première phase avec certaines nuances. On demande notamment d’expliquer si les investissements des nouveaux joueurs du numérique peuvent compenser les pertes occasionnées par la diminution des investissements des joueurs traditionnels et si le système domestique peut s’autofinancer grâce aux nouvelles plateformes. L’AQPM participera à cette seconde phase dont la date d’échéance est le 13 février prochain.

L’AQPM a également transmis au CRTC, le 8 décembre dernier le mémoire portant sur le renouvellement des licences de TV5 et Unis.

Et toujours en décembre, le CRTC a annoncé qu’il désirait recevoir, au plus tard le 23 janvier 2018, les commentaires sur le contenu de langue originale française dans le cadre du réexamen des décisions relatives au renouvellement des licences de diffusion des grands groupes francophones (CRTC 2017-428). L’AQPM est donc intervenue dans ce dossier qui fait suite aux représentations qu’elle avait faites auprès du gouverneur en conseil.

Voici les conclusions de son mémoire :

Considérant que le contexte culturel, économique et réglementaire de la production télévisuelle indépendante de langue française nécessite des mesures particulières, l’AQPM recommande au Conseil de prendre des mesures exceptionnelles et d’imposer, par condition de licence, à tous les groupes désignés de langue française, un seuil de dépenses en émissions de langue originale française correspondant à 75 % des dépenses en émissions canadiennes (DÉC) de chacun de ces groupes.

L’AQPM recommande aussi au Conseil d’imposer une condition de licence à tous les services de langue française bénéficiant de la distribution obligatoire en vertu de l’article 9 (1) h) de la Loi, les obligeant à consacrer, au cours de chaque année de radiodiffusion, 90 % de la programmation canadienne à des émissions de langue originale française.

Afin d’assurer l’accessibilité des émissions jeunesse de langue française d’ici, l’AQPM demande au Conseil de rétablir la condition de licence imposant à Vrak de diffuser un minimum de 104 heures d’émissions canadiennes originales de langue française en première diffusion.

Enfin, l’AQPM demande au Conseil de modifier son exigence actuelle en matière de production indépendante pour obliger les groupes désignés de langue française, à consacrer au moins 75 % des dépenses d’émissions d’intérêt national (ÉIN) à la production indépendante de langue originale française.

Seules ces mesures permettront de s’assurer que les grands groupes de propriété de langue française contribueront de façon notable à la création, à la présentation, et à la promotion du contenu original de langue française, au sens de l’article 3 (1) s) de la Loi sur la radiodiffusion.

En aucun cas les demandes de Bell Média et du Groupe V Média en vue de réduire leurs obligations de dépenses en DÉC et en ÉIN vont dans le sens des objectifs de ce processus de réexamen. Elles sont contraires aux directives du gouverneur en conseil.

Vous pouvez consulter le mémoire ici.

La transaction annoncée pour l’acquisition par Bell des chaînes Séries+ et Historia de Corus ajoute une touche d’incertitude et mènera à de nouvelles consultations sur la vente elle-même et le cas échéant, sur la détermination des nouvelles conditions de licences de Bell.